Charles-Daniel Bourcart, Schweizer Gesandter in Wien, nimmt Stellung zum Wunsch Liechtensteins nach einer Annäherung an die Schweiz


Maschinenschriftliches Schreiben von Charles-Daniel Bourcart, Schweizer Gesandter in Wien, an Charles Louis Etienne Lardy, Adjunkt in der Abteilung für Auswärtiges im Schweizerischen Politischen Departement [1]

23.5.1919, Wien

Monsieur le Ministre,

Pour faire suite à ma lettre de ce jour et en vous remerciant de votre intéressante lettre du 15 de ce mois [2] concernant la principauté de Liechtenstein j'ai l'honneur de vous informer que le Prince Edouard de Liechtenstein, Ministre in spé du Liechtenstein près le Gouvernement Autrichien, un vieil ami, est venu me voir dernièrement et m'a chaudement recommandé la principauté de son oncle [Johann II.]. Il considère son maintien – et le sauvetage des grandes propriétés du prince en Autriche en Hongrie et notamment en Tchéco-Slovaquie – comme une garantie contre le bolchévisme; la fortune immense de S.A.S. [Son Altesse Sérénissime] Jean II peut, en effet, être un sérieux soutien pour la bonne cause. Le Prince Edouard a surtout beaucoup insisté pour qu'un représentant de son pays soit admis à être entendu par le congrès de la paix; il désirerait aussi très vivement que nous nous chargions de la représentation du Liechtenstein là où il n'aurait pas d'agents et pour que nous prenions, d'une manière générale, la place occupée jusqu'ici par l'Autriche.

En ce qui concerne les questions spéciales que vous me posez je crois:

  1. qu'il n'y aurait aucun inconvénient à admettre un représentant du Liechtenstein à Berne et cela sans consulter l'Autriche-Hongrie. L'Autriche-Hongrie est une nation qui a cessé d'exister et les nouveaux Etats, l'Autriche Allemande en particulier, proclament sur tous les tons qu'ils ne s'identifient en rien avec l'ancienne Monarchie. Cette dernière avait la prétention de représenter de droit le Lichtenstein à l'étranger et exerçait ce droit de fait, mais il n'y a pas d'accord formel à ce sujet. Si on m'a fait comprendre jadis qu'on préférait que je ne fusse pas accrédité auprès du prince résidant à Vienne sous prétexte que l'Autriche se chargeait de la représentation active et passive de la principauté, il s'agissait plutôt en réalité d'une opposition de la cour, qui ne désirait pas voir un autre monarque que l'Empereur faire acte de souverain dans la capitale de l'Autriche. Le fait que le Gouvernement actuel vient de se déclarer prêt à recevoir un envoyé du prince dûment accrédité me semble du reste militer en faveur de mon point de vue. (Voir dossier de 1918 en dernier lieu lettre du Département du 5. Juin 1918 XIII.b.3.105. S.Br.) [3]
  2. le Dr. [Emil] Beck semble être le candidat favori pour le poste de représentant diplomatique à Berne, mais, pour le cas où sa nationalité suisse serait un empêchement, le prince Edouard me prie de vous soumettre en outre le nom de M. Walther Probst, sujet liechtensteinois demeurant actuellement à Territet, Pension Vernet et précédemment à Hambourg où il avait une maison d'exportation et semble avoir fait fortune. Je ne connais ni l'un ni l'autre de ces Messieurs.
    En ce qui concerne le fait que M. Beck est sujet mixte je suppose que, en l'espèce, il n'y aurait pas grand inconvénient à passer pardessus cette objection, mais je dois dire que, en principe, il me semblerait préférable de ne pas admettre des Suisses comme représentants diplomatiques d'un Etat étranger auprès du Conseil Fédéral. Je me rappelle que, du temps où j'étais au Département Politique, certain chargé d'affaires d'une république sud-américaine nous avait plutôt ennuyé par ses prétentions et cela d'autant plus qu'il faisait des affaires et avait même, je crois, un magasin à Genève. Si l'on fait une exception pour le Dr. Beck d'autre Etats pourraient invoquer ce précédent.
  3. En me basant sur les explications données sous le § 1, je crois que la Suisse peut, sans inconvénient et sans consulter préalablement l'Autriche-allemande (qui n'est pas plus "l'Autriche" que ne l'est la Tchéco-Slovaquie) assumer la représentation diplomatique du Liechtenstein là où celui-ci n'aura pas d'agent à lui propre. Je ne crois pas non plus que nous ayons à risquer de ce fait des complications désagréables, la politique du Liechtenstein ne devant guère être compromettante.
  4. D'une manière générale, et surtout si le Vorarlberg devient suisse, le Liechtenstein est destiné à graviter dans notre orbite et se détachera toujours plus de ce que fut l'Autriche. Le Gouvernement de Vienne ne prendra aucun intérêt à son sort, les grandes propriétés foncières du Prince risquent plutôt de le mettre en opposition avec les Gouvernants actuels auprès desquels il ne trouvera pas l'appui que lui accordait la maison impériale à laquelle le rattachaient en plus de la solidarité monarchique, de nombreux liens de parenté. Les tendances judaïco-socialistes de M.M. [Otto] Bauer et consorts ne sont guère faites d'ailleurs pour s'accorder avec l'esprit clérical et conservateur prévalant au palais de la Bankgasse.
    Il me parait probable que, avec le temps, le rapprochement entre le Liechtenstein et la Suisse se fera beaucoup plus intime que les relations ayant existé avec l'Autriche dont la capitale était si éloignée et l'esprit assez différant. Si le Vorarlberg devient suisse on peut même se demander si, par la force même des choses, la principauté ne sera pas amenée à suivre son exemple. Dans ce cas, si l'on veut maintenir les Art. 4 et 6 de la Constitution Fédérale [4], le Prince n'aurait qu'à se retirer. Cette solution ne me semble toutefois pas urgente. J'avoue franchement que j'éprouve une certaine sympathie que vous pouvez qualifier de pittoresque ou de poétique pour ce reste de moyen-âge collé à notre flanc mais qui ne nous gêne nullement; je ressens à contempler la "Burg" à Vaduz un sentiment analogue à celui que m'inspirent quelques rares vitraux gothiques du Musée National ou un vieux tableau sur fond d'or au Musée de Bâle. On ne peint plus ainsi mais pourtant c'est beau. Et si l'idée de ce principicule, souverain de 10'000 âmes au maximum, évoque parfois un sourire et fait penser à quelqu'opérette d' [Jacques] Offenbach il n'en pas moins vrai que ses sujets sont parfaitement heureux et n'auraient qu'à perdre à devenir républicains. En effet les Liechtensteinois jouissent d'un "self-government" très étendu et le prince est, je crois, tout disposé à leur faire les plus grandes concessions sous ce rapport; ils n'ont pas de dette publique et, pour ainsi dire pas d'impôts le Prince prenant presque toutes les charges à son compte particulier; le service militaire est une institution inconnue au Liechtenstein, bref, sous bien des rapports c'est un vrai pays de Cocagne, de sorte que les velléités républicaines qui se sont fait jour lors de la révolution autrichienne ont bien vite fait place à une sage réaction basée sur des calculs très précis. Le prince actuel est un vieux garçon, vivant très retiré, confit en religion, qui n'a visité sa principauté que deux ou trois fois dans sa vie; il semble reconnaître maintenant la nécessité d'un contact plus étroit et doit partir ces jours ci pour Vaduz. [5] La famille Liechtenstein se rend compte aussi des immenses avantages que peut lui conférer la qualité de famille régnante et l'on peut s'attendre à ce que, à l'avenir, elle soigne d'avantage ses rapports avec ses sujets que par le passé. Une des plaintes – presque la seule – des Liechtensteinois était qu'on les faisait administrer par des fonctionnaires autrichiens; aussi le baron [Leopold von] Imhof, l'ancien gouverneur (Landesverweser) a-t-il dû déguerpir au plus vite au mois de novembre dernier; il est remplacé momentanément par le prince Charles que vous connaissez. Le peuple semble vouloir obtenir le droit d'élire lui-même le chef de son gouvernement qui aurait le titre de "Landammann" tout en maintenant le Prince comme souverain. J'estime que, tant que le prince conservera sa fortune, il pourra aussi se maintenir sur son trône en payant de sa poche les dépenses qui, en d'autres pays moins heureux, incombent au contribuable; le jour où il ne serait plus le grand bailleur de fonds l'amour de ses sujets se refroidirait probablement de façon notoire. Ce jour-là, si le Vorarlberg est suisse, le Liechtenstein le deviendra certainement aussi. Je ne crois pas cependant qu'il soit habile de parler de l'annexion du Liechtenstein avec le Vorarlberg déjà maintenant comme le fait le Conseiller National [Rudolf] Gelpke dans ses articles des "Basler Nachrichten". Si l'on voulait modifier les art. 4 et 6 de la Constitution Fédérale et admettre la principauté avec son prince à la tête à faire partie de la Confédération, l'historie de Neuchâtel [6] serait là pour nous dire que pareille situation ne pourrait pas être de longue durée. On peut même se demander si le trône de Jean II ne court pas déjà certains dangers à entrer en un contact aussi intime avec notre démocratie que semble le désirer le prince. Si les postes, les douanes, les chemins de fer, le système monétaire et en partie même la justice, deviennent communs les rapports seront pour toutes ces matières plus resserrés que ne l'étaient ceux des alliés (zugewandte Orte) [7] avec l'ancienne Confédération, voire que ceux des anciens Cantons entre eux, et la fusion se ferait peut-être par la force même des choses. Pour le moment, d'après ce que m'a dit le prince Edouard, on examine encore dans quelle mesure les anciens liens devraient être maintenus et quels sont les services qui devraient au contraire chercher à se rattacher aux institutions suisses. Il va de soi, du reste, que toutes ces questions (sauf celle de la représentation diplomatique) restent subordonnées à la question préalable de rattachement du Vorarlberg à la Suisse. Après cet exposé général je reprends ici l'examen particulier cette fois-ci des questions qui ne sont pas encore urgentes.
  5. Chemins de fer. En englobant le Vorarlberg la Suisse se verra obligée de racheter la ligne de l'Arlberg jusqu'au-delà du tunnel. (Voir mon rapport sur la question du Vorarlberg); par ce fait le petit tronçon qui traverse le Liechtenstein entrera en possession des C.F.F. [Chemins de fer fédéraux]. Cette affaire sera très facile à régler – sous réserve du no. 7.
  6. Le passage de l'administration des postes à la Confédération ne me paraît pas bien compliquée non plus – sous réserve du no. 7.
  7. Une union monétaire avec une population de 10'000 habitants seulement ne devrait pas offrir de trop grandes difficultés; si toutefois le Liechtenstein demeurait dans un Zollverein autrichien ses transactions commerciales continueraient sans doute à se faire avec ses anciens clients dont il aurait alors intérêt à conserver le système monétaire. Pour les postes et les chemins de fer devenus suisses, d'autre part, le maintien de la couronne autrichienne comme monaie entraînerait certaines complications de comptabilité et des questions de change qui compliqueraient l'administration de ces services.
  8. Le Liechtenstein devrait-il former une union douanière avec la Suisse? J'ai l'impression qu'il n'en a pas grande envie pour le moment. Ses produits, analogues à ceux de la suisse, trouvent un meilleur débouché en Autriche que chez nous; la quote-part qui lui revenait dans le rendement des douanes était, je crois bien supérieur aussi à ce qui pourrait lui revenir s'il s'associait avec nous. Je n'ai pas les chiffres exacts mais le Prince Edouard m'a donné quelques indications dans ce sens.
  9. La cour d'appel d'Innsbruck fonctionne comme cour suprême du Liechtenstein. Tant que celui-ci appliquera les codes autrichiens il sera préférable sans doute de ne rien changer à l'organisation judiciaire et de laisser un tribunal autrichien interpréter en dernier ressort des lois autrichiennes. C'est aussi le sentiment du Prince Edouard de Liechtenstein.
    Pour obtenir des données exactes sur quelques uns des points indiqués ci-dessus vous êtes plus rapproché de Vaduz et mieux à même que moi de les recueillir; j'ai constaté en effet que la chancellerie viennois de Prince s'occupe principalement de l'administration de la fortune et puise toutes ses informations politiques et administratives auprès du "Landesverweser". Quand le Prince Edouard sera entré en fonctions comme envoyé de son oncle il en sera sans doute autrement. Je tâcherai toutefois d'obtenir dès maintenant certaines indications de l'administration autrichienne.
    Avant de terminer cette lettre trop longue pour le peu de renseignements qu'elle contient je dois encore vous soumettre une requête du Prince tendant à ce que notre courrier se charge aussi de celui-ci pour son Gouvernement de Vaduz. La valise Liechtensteinoise irait à Buchs où un messager viendrait la prendre, les trains express ne s'arrêtant pas à Schaan–Vaduz. Vous m'obligeriez en répondant aussitôt que possible à cette demande.

Croyez, mon cher Ministre, à mes sentiments les plus sincèrement dévoués

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[1] CH BAR E 2001 (E), 1969/262, Bd. 11, Az. B.14.24.P.4, Vereinbarungen mit Liechtenstein, 1919-1920. Aktenzeichen: C.16.19.150 ad B.14.24.P.4.111 My. Das Dokument ist ediert in DDS, Bd. 7a, Nr. 422. Eine Kopie in LI LA MFE 19. Lardy brachte das Schreiben am 25.5. den zuständigen Departementen sowie der Oberzolldirektion zur Kenntnis.
[2] DDS, Bd. 7a, Nr. 409.
[3] Vgl. DDS, Bd. 7a, Nr. 422, Anm. 2.
[4] Art. 4 der Bundesverfassung von 1874 (BS, Bd. 1, S. 3-45) hält fest: "Alle Schweizer sind vor dem Gesetze gleich. Es gibt in der Schweiz keine Untertanenverhältnisse, keine Vorrechte des Orts, der Geburt, der Familien oder Personen." Nach Art. 6 sind die Kantone verpflichtet, für ihre Verfassungen die Gewährleistungen des Bundes nachzusuchen.
[5] Tatsächlich traf Johann II., der letztmals 1901 in Liechtenstein gewesen war, am 4.6.1919 zu einem längeren Aufenthalt in Vaduz ein.
[6] Neuenburg, ursprünglich eine Grafschaft, seit dem 17. Jahrhundert ein Fürstentum, unterhielt seit dem Mittelalter enge Beziehungen zur Eidgenossenschaft. Das Fürstentum, das seit 1707 dem preussischen Königshaus gehörte, trat 1814 als Kanton der Eidgenossenschaft bei. Der Wiener Kongress sanktionierte 1815 zwar den Beitritt, setzte jedoch gleichzeitig die Hohenzollern wieder als Landesherren ein. 1848 stürzten die Républicains die royalistische Regierung und errichteten eine Republik. Im Neuenburgerhandel von 1856 scheiterte der Versuch der Royalistes, der Anhänger des preussischen Königs, die alte Ordnung mit Gewalt wiederherzustellen. Nach Vermittlung der Grossmächte verzichtete Preussen schliesslich 1857 auf Neuenburg.
[7] Der Sammelbegriff "Zugewandte Orte" bezeichnet diejenigen Städte, Länder, geistliche oder weltliche Herrschaften, die mit den eidgenössischen Orten in einer engen vertraglichen Bindung standen und als zur Eidgenossenschaft gehörend galten, ohne aber voll berechtigte Orte zu sein.